14.2.05

conférence

Et dire que j'ai failli ne pas aller à la conférence de samedi... La tariqa organise régulièrement des "ateliers" c'est à dire des conférences publiques pour présenter certains aspects du soufisme. Le thème ce samedi me paraissait un peu aride : "la descente du Coran". Je pensais que j'allais rester au chaud chez moi à regarder des matches de rugby à la télé.

Et puis j'ai changé d'avis, j'ai décidé d'y aller. Boum. J'ai pris une claque énorme. Le frère qui donnait la conférence s'appelle Abd el Haqq (serviteur de la Vérité... un très beau nom). C'est un monsieur d'une cinquantaine d'années, qui est (je crois) un des premiers occidentaux à être entré dans la tariqa, il y a très longtemps (au moins 20 ans).

C'est quelqu'un de très calme, qui s'exprime de façon très précise, très doucement, mais on entend les mouches voler. Il ne mâche pas ses mots sur certains sujets, fait des apartés, des digressions, mais quel bonheur de l'écouter.

Le descente du Coran c'est comment le texte sacré a été révélé. C'est marrant c'est un thème qui semble rébarbatif mais je crois que j'aurais pu l'écouter pendant 24 heures sans voir le temps passer. A chaque thème qu'il abordait il disait "bon on a pas le temps d'en parler en détail malheureusement"... en plus certains spectateurs lui ont posé des questions loin du sujet ce qui a gaspillé pas mal de temps.

Ainsi il n'a pas eu le temps de parler de la recension du texte, de la façon dont après la mort du prophète le texte a été écrit et en quelque sorte figé. En fait j'ai du mal à organiser mes idées, je suis un peu comme un spectateur qui regarderait un tableau et qui serait submergé par des impressions mélangées. Peut être que je reviendrai sur certains aspects de la conférence dans les jours qui viennent.

Et dire que selon ses proches c'est quelqu'un qui lit très peu... il semble pourtant d'une érudition extraordinaire. Peut être que très peu n'est pas à prendre au pied de la lettre. En fait j'ai du mal à séparer le contenu de son discours de l'impression que j'en ai tirée. L'impression littéralement que ça m'est allé droit au coeur.

Tant pis je vais parler de tout ça en désordre, j'ai du mal à faire un plan. J'espère ne pas dire trop de bêtises. Il a expliqué par exemple l'importance de la langue. Chez les bédouins, la langue était la valeur la plus importante. Même si l'écriture arabe n'est apparue que très peu de temps avant la révélation dans la péninsule arabique, la culture des tribus bédouines plaçait la maîtrise de la langue au dessus de tout. Les poètes étaient vénérés.

Dans le contexte coranique, deux choses : d'une part il est clair qu'il n'y avait pas d'ambiguïté pour le prophète, on peut être certain qu'il maîtrisait parfaitement la langue et que la révélation (si sujette à interprétation et si difficile à traduire... je m'embrouille j'espère ne pas dire de bêtises) est claire pour le prophète. Par ailleurs dans une telle culture il faut réfléchir sur le fait que le Coran soit écrit dans une langue décrite comme parfaite. A plusieurs reprises d'ailleurs on met des incroyants au défi de rédiger une sourate, défi impossible à relever, même par les plus grands poètes de ce temps.

De même que Moïse face au Pharaon a apporté son message en ridiculisant les magiciens de la cour, de même le Coran se devait en quelque sorte d'être dans une langue sublime vu le contexte de la société où il a été révélé. Et au commencement était le verbe disent les évangiles.

Autre thème abordé ; le fait que le Coran n'est pas un récit historique (contrairement aux évangiles par exemple). L'image qu'a utilisée le frère est la suivante : c'est un peu comme si Dieu réunissait en cercle autour de lui tous les prophètes les plus importants, et les appelait à tour de rôle à témoigner. D'où ce côté si déroutant du Coran ou une histoire peut s'interrompre et n'être reprise que plusieurs sourates plus loin, où il semble y avoir des redites, etc...

Encore un thème (décidément je ressors tout un peu en vrac) : le fait que dans le Coran (un verset dit ça) rien n'est omis. Aha. Très important ça. Je ne sais pas trop ce que j'ai compris de ça mais incidemment le frère a donné une réponse à une des questions que je me posais depuis longtemps : celle des "preuves". Il a parlé de ces recherches qui s'appuient sur des découvertes très récentes de la science et les mettent en parallèle avec des révélations. J'ai déjà dit que je suis mal à l'aise avec ça.

La réponse de ce frère était de dire que ces recherches peuvent confirmer que rien n'est omis dans le texte divin, mais que bien entendu on ne saurait s'en servir comme preuves pour la foi. Là ça m'a parlé. Ce qui me mettait mal à l'aise dans tout ça, c'était l'idée que des gens aient besoin de "prouver" leur foi ou l'existence de Dieu scientifiquement. Pour moi la foi c'est autre chose. Et là (bon faut suivre hein je suis même pas sûr de comprendre tout ce que j'écris) ça m'a parlé.

A un moment il a aussi laissé parler son agacement contre un ministre (je ne sais pas si c'était Sarkozy ou Villepin mais c'est l'un des deux) qui lors d'un débat télévisé a dit "j'ai lu le Coran je sais ce qu'il y a dedans". Le frère a eu un moment de silence pour appuyer son propos... c'est vrai que c'est le genre de phrase que j'aurais laissé passer sans y faire attention. Pour lui qu'un ministre chargé des relations avec les religions se permettre de dire une chose pareille est très grave.

C'est grave parce que, et là il nous a parlé de son expérience personnelle, on peut lire le Coran toute sa vie et en découvrir de nouveaux sens en permanence. Sans même parler du fait qu'une traduction est forcément imparfaite (hum faut aussi que je parle à un moment du Coran en Arabe), prétendre qu'on a "lu" et qu'on "sait ce qu'il y a dedans" c'est vrai que c'est pas croyable. D'autant que ça vient de quelqu'un qui a fait des études de très haut niveau.

Je me suis marré j'ai pas pu m'empêcher d'imaginer le ministre se faisant faire une note de synthèse comme on apprend à les faire à l'ENA. Note en trois parties sur les thèmes du Coran. Naturellement tout le monde a le droit d'avoir un avis sur le Coran. Mais de là à dire "je sais ce qu'il y a dedans"... le frère nous racontait qu'il a étudié dans sa jeunesse une sourate qui ne fait que 5 ou 6 versets avec un savant palestinien (je crois), et que celui-ci lui disait "c'est incroyable ça fait 30 ans que j'étudie ce verset et en l'étudiant avec toi je comprends plein de choses que je n'avais jamais vues." Une sourate de 5 ou 6 versets.

Sur le Coran en Arabe... apparemment certains (dont les Frères Musulmans, ce que j'ignorais) ont voulu "réserver" la lecture du Coran aux arabophones. Là ça a donné l'occasion à notre conférencier de parler du fait que la lecture est une illumination. Cette illumination précède la compréhension au sens rationnel (c'est moi qui vais passer pour un illuminé)... Il nous parlait de musulmans pakistanais qui lisent le Coran en Arabe sans comprendre le sens, mais qui sont transformés par la lecture. C'est difficile à admettre, mais c'est ainsi. On peut utilement lire des traductions naturellement. C'est même recommandé. Mais la lecture en Arabe a une vertu sacrée. Hum je ne suis pas sûr de bien rendre compte de ce que je veux dire. Le texte parle au coeur.

Autre élément très intéressant que j'ai relevé, et qui m'a fait sourire parce que j'ai lu le soir même littéralement la même chose dans une lettre du sheikh Ad Darqawi ; je cite de mémoire (je crois que c'était à l'occasion d'un aparté sur les religieux qui s'approprient le sens du Coran à des fins personnelles) : "la dernière chose qui quitte l'ego (la nafs) c'est la volonté de pouvoir". Même si on avance loin dans le travail spirituel (des années lumière pour moi), l'humilité est une des stations les plus élevées. Et ceux qui sont les plus pieux sont parfois les plus en danger face à ça. Du moins est-ce ce que j'en comprends.

Je reviendrai sur tout ça je suppose. J'ai beau savoir qu'il ne faut pas "idéaliser" les gens, je suis vraiment extrêmement impressionné par ce frère. Un des spectateurs l'a interrompu plusieurs fois pour lui poser des questions. Mais ses questions étaient plus destinées à montrer ses connaissances qu'à vraiment apprendre du conférencier. Quel contraste. Quel contraste.

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